mardi 8 mai 2012

Rendez-vous à Firehole : partie 3


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9 Août 


Voilà Stephanie, 26 ans, coiffeuse. Elle m'a conduite de Buffalo, aux premières heures du jour, jusqu'à Onekama (en Amérique, pas au Japon) où elle travaille. Je dois dire que j'ai un peu regretté Joad. Dans le genre amerloque de base, la pauvre Stephanie se posait là. Très gentille, vraiment, adorable. Mais un rire très bas étage et un peu flippant, des dents trop blanches et une conduite affreusement plate. Même pas un juron quand on lui piquait la priorité aux rond points.
J'ai très mal dormi cette nuit (dans un gigantesque lit rose satin, avec sur le ventre un steak de 300 tonnes, du jus d'orange fluo ultra sucré et une part de brownie trois chocolats pour faire passer le tout ; je ne pouvais rien refuser à la mère de Joad, bonne grosse femme aux cheveux permanentés, elle n'avait l'air d'avoir que ses trois chiens pour compagnie en l'absence de ses fils. L'ainé est en Irak.) Joad a fait son possible pour m'aider à remonter la trace de Mister Mystère. Et j'ai vécu un pur moment de tension : je me suis rappelée l'avion miniature qu'on avait pris à l'aéroport de Grande-Rivière, près de Radisson. Le gars a tout de suite capté de qui je parlais - et je dois dire que mon cœur s'est arrêté une petite seconde - et s'est exclamé "Ben oui, bien sûr, Stephen ! Ah, sacré Stephen." Je n'ai pas relevé, et j'ai simplement demandé son nom de famille. Et bien, le gars ne savait pas. IL NE SAVAIT PAS. Non non, c'était seulement Stephen, ce sacré Stephen. Et point barre.
Après, j'ai pensé au gars moustachu qui nous avait apporté le canoë (paix à son âme) sur le lac Minto. D'ailleurs, il a toujours mon trépied, mon diffuseur de flash et mon imprimante. Mais ce brave monsieur est un fantôme (donc, non contente de me barrer encore je ne sais où pour je ne sais quelle situation impossible, je viens de perdre définitivement pour 150 euros de matériel).
Pas la peine de téléphoner à la boutique où il m'avait acheté ma belle parka rouge, ils n'ont pas pris nos noms, juste l'argent de Stephen (je lui dois combien à part ma vie (deux fois) ?)
J'ai eu un court instant de folie et cherché mon portable de façon fébrile dans toutes mes poches en pensant à Fanny (il lui avait téléphonée après l'accident, toujours aussi étrange d'ailleurs), puis je me suis dégonflée comme un soufflet : elle ne savait même pas prononcer son prénom correctement, alors son nom de famille... Et puis, franchement, j'ai envie de tout sauf d'avoir Fanny au téléphone.
Après, en continuant de remonter le fil de mes pensées, j'ai réalisé que Stephen m'avait quittée là. Après ce baiser. Cet espèce d'instant tellement familier, comme on passe la main dans les cheveux d'un gosse qu'on connait.
Dans mon journal, après ça, c'est que des pages et des pages de marche et de faim, de magnifiques Inuit, de désespoir. Et puis les caribous, son retour, la tente, le vin, l'aurore.
J'arrête là.
Bon, alors, en gros, il me reste une seule petite piste en dehors de Guillaume, et c'est Mathéo. A lui, je pourrais demander des infos sur Stephen, s’il lui en a donné. Mais je n'ai aucun moyen de le joindre où il est.
Mais POURQUOI j'ai laissé ce canoë partir ? POURQUOI, POURQUOI, P.O.U.R.Q.U.O.I.
Rives du lac Michigan

 Revenons un peu à l'instant présent, en attendant le suicide. La vie a encore l'air pas trop mal : je suis sur un bateau qui relie les deux rives du lac Michigan, et ça sonne tellement Chicago, "Urgences", pulsations américaines, c'est assez fou. Je ne suis pas sûre d'avoir choisi la meilleure option niveau temps et confort : 122 km de traversée ! Je serai de l'autre côté d'ici deux bonnes heures, et on a parcouru la moitié du chemin. Le bateau est bondé de touristes en k-way et casquettes multicolores, les enfants courent partout.

Je pense tenter un dernier auto-stop pour rejoindre Steven Points. C'est assez rigolo, grâce à Google Earth, je viens de remarquer que je n'ai plus qu'à tracer "en ligne droite" (est-ce que ça existe sur notre belle Terre ronde ?)

Ne regardons pas les détails : cinq états différents à traverser, c'est un jeu d'enfants pour une experte comme moi. Le pire, c'est que ça m'éclate. Je perds la tête, j'avais jamais dépassé les frontières de l'hexagone, et voilà que je prends mon pied à traverser un continent.
Le bateau devrait arriver d'ici une heure. Je vais aller regarder l'eau et attendre pour prendre une photo de Manitowoc (décidément, les sonorités ici, c'est très étrange).
See you, camarade.
Arrivée à Minitowoc, Wisconsin, 18h

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