lundi 27 juin 2011

Partie 6

4 Juillet 2011


Je panique complètement.
Mon corps panique. Après six nuits passées sans dormir ou quasiment pas, des nausées n’importe quand n’importe où, trois migraines atroces (j’ai carrément fait le vampire : pas de lumière, pas de bruit, PERSONNE. Si j’avais pu, j’aurais commandé un cercueil pour compléter la panoplie. D’ailleurs je devrais le faire, parce que je vais MOURIR d’ici une heure), je résiste vaillamment mais commence à perdre sérieusement les pédales.
Les minutes semblent défiler à l’envers. L’aéroport est énorme, blanc, bondé. Je me suis trouvé un coin calme à côté d’un magasin de souvenirs et d’un petit couple de vieux.
Je m’accroche aux derniers bouts de raison qu’il me reste : je prends des photos. Y’a cinq minutes, j’ai monopolisé les prises du coin wifi avec mon imprimante portable. Les gens ont dû me prendre pour une folle (ce que je suis, je ne lutte plus). Il faut être cinglée bourrer sa valise avec un appareil photo gigantesque et son lot de zooms, de correcteurs, un diffuseur de flash gonflable, un trépied d’un mètre deux, un ordinateur et une imprimante portables ; plutôt que des paires de chaussures ou des pulls.
Et donc, j’ai pris ça :



J’ai eu honte de prendre la dernière. Ça faisait un peu perverse, ou paparazzi. Ou pauvre fille éplorée. Parce que je me demande si j’aurai ça un jour : la sensation d’être enfin à la maison dans les bras de quelqu’un.
Est-ce que j’aurai ça avec Mathéo quand il ouvrira la porte ? (s’il me prend dans les bras…). Qu’est-ce que je cherche au juste ?

Guillaume a pleuré quand je suis partie. Non, sérieusement. J’ai refusé qu’il m’accompagne à l’aéroport (pas besoin d’un labrador à la porte des toilettes pendant que je vomis une dernière fois avant de monter dans l’avion). Il ne s’est même pas énervé. Non, mais quel genre d’homme ferait ça ? Une part de lui sait très bien ce que je pars faire là-bas. Il n’est pas complètement aveugle non plus. Je veux dire, trois des nuits sans sommeil, c’est à côté de lui que je les ai passées, et c’était impensable qu’il me touche. J’aurais eu l’impression (attention, pensée complètement barrée) de tromper Mathéo si je couchais avec lui.
Et puis, il me dégoûte, c’est épidermique maintenant.
Le pauvre. J’ai dû me lever du canapé plusieurs fois pour répondre à une Fanny hystérique plus d’une fois ces derniers jours, et je suis CERTAINE qu’il a entendu une bonne partie des conversations. Et ce sourire débile qui éclosait étrangement sur mon visage de façon complètement aléatoire et incontrôlée… On ne sourit pas à un jambon-purée quand on est pas complètement malade (mais de quoi ?).
Et quand c’était pas les airs niais, c’était les nausées et les accès de Twilight-fever.
…………
Il est 12h53. Mon vol est ouvert.
A-a-a-a-a-a-a-r………..gh.
Priez pour moi. Cet avion va s’écraser ; mon coeur va s’écraser. Je pars dans un élan suicidaire absolument pathétique. Adieu, mon petit pays, adieu ma famille, chante Raphaël ; à la gare internationale, le vent nous entraînait, aussi loin qu’il pouvait, cet air je le connais…
Oui, je le connais ; c’est un air vieux de cinq ans. Un air plus familier que les autres ; un goût d’aventure, de baisers d’été derrière un gymnase de lycée, de temps suspendu.
See you in Canada, my friends… (or not)…
* * *

lundi 13 juin 2011

Partie 5

20 juin 2011


J’ai fait un truc complètement crétin cet après-midi, dans le genre tripe d’ado : je suis retournée regarder Fresnel. J’ai pris le bus, je suis descendue, et j’ai regardé les lycéens de l’autre côté de la rue. C’est vraiment idiot, je sais pas pourquoi je continue de répondre à l’appel du passé comme ça ; et en plus je ne lutte même pas.
J’essayais de me souvenir où est-ce qu’on se cachait aux récrés, et je me suis rappelé ces mots qu’on avait écrits derrière la gymnase… Mon dieu, quand je pense à tous les lycéens qui sont passés par là. Ils ont dû se dire « encore des pauvres idiots ».
Oui, deux pauvres idiots…
Peut-être qu’on était stupides, un peu naïfs, ou tout simplement immatures… N’empêche que c’était un amour pur, sincère, comme j’en ai pas connu depuis. On était convaincus que rien ne pourrait jamais nous séparer.
Et ben, un billet d’avion a suffi, mon pauvre amour.

Pfff.
J’ai commencé à faire ma valise, petit à petit. J’essaye de le faire sans y penser. Je le fais d’abord pour moi, parce que je rêve de ce voyage depuis des années, et le reste viendra comme il viendra.


         Fidèle canon : check.
         Tu vas griller ta memory card, mon chéri. 


Guide du routard « Québec » : check.
Y’a toute une rubrique Montréal.
Mais pourquoi je pense à Montréal d’ailleurs ? J’y vais pour visiter. Visiter tout le Québec, sans aucune forme de distinction.
D’ailleurs je ne sais même pas si tu habites toujours Montréal

Journal de bord d’une tarée inguérissable : check.

Dico improbale mais relativement indispensable : check.


Et…


Ceci :



Quand je pense que j’ai porté ça pendant plus de deux ans… Bon, et depuis, je l’ai laissé dans le tiroir de mes petites culottes. Dire que je ne l’ai jamais regardé, que je n’ai jamais réessayé de le poser sur mon poignet, juste pour voir ce que ça donnait… Purs mensonges, bien sûr. Je devrais sûrement le laisser dans le tiroir, bien au fond.
Mais je me demande s’il a gardé le sien (pas en argent ni aussi explicite, je ne l’ai pas émasculé, pauvre garçon) ; mais cette belle gourmette en bronze qu’il portait à son poignet, perdu dans le flot de tous ses bracelets en cuir (ah, sa période anti-mondialiste).

Bref, voilà tous ce que j’ai mis dans ma valise pour le moment. J’irai pas loin avec ça, sauf si je me nourris de papier québéco-français et de passion.
En attendant, je vais m’enfermer dans le déni. Point de discussion avec Fanny sur Vous Savez Qui (non, pas Voldemort) ; encore moins de virée nostalgique où que ce soit (quand je pense que je suis retournée à Fresnel ! Non, mais je me fais peur parfois).
Je garde la tête FROIDE. Je souris GENTIMENT à Guillaume. Je me mens avec CONVICTION.
Yes, I can.
Allez, à la prochaine cher Journal. Tu seras sûrement dans la soute d’un avion la prochaine fois….
Aaaaaargh.


lundi 6 juin 2011

Partie 4

18 juin 2011


Bon. Non seulement j’ai réservé le vol de 13h30 pour le 4 juillet, mais j’ai aussi annoncé à tout le monde que je partais. J’ai dit que ça serait pour trois semaines seulement, mais la vérité, c’est que je n’ai pas acheté le retour.
Aucune des discussions que j’ai eues ne m’a vraiment surprise.
Guillaume, en mode labrador :
Moi : « Je pars dans deux semaines au Canada. C’est mon rêve depuis que j’ai 13 ans, et je veux le réaliser avant d’entrer pour de bon dans la vie adulte. »
Lui (d’abord bouche ouverte, fermée, ouverte ; puis des larmes dans les yeux. Non, vraiment.) : « Oh… oui, je comprends… C’est super, ma chérie. Je viens avec toi si tu veux ! »
Moi (absolument pas subtile) : « NON ! »
Là, je me souviens que cette divagation canadienne quasi pathologique ne mérite pas que je m’acharne sur lui comme ça ; après tout, il n’a rien fait de mal (c’est peut-être ça le problème). Je tente de rattraper le coup :
« Je veux dire… Je veux faire ça toute seule. J’ai besoin de faire ce voyage. Ce sera pas long… Trois semaines, pas plus. »
Lui (vraiment labrador sur ce coup-là) : « Tu sais, même si tu devais partir cinq ans, je t’attendrais. »
Beuaaaark.
Bon, d’accord, je suis cynique et cruelle. Après tout, c’est le genre de phrase que toute fille rêve d’entendre. On crée des légendes sur des phrases comme ça. Mais pourquoi est-ce que ça ne me fait absolument aucun effet ? Pourquoi, quand j’ai rêvé qu’on m’attendait à l’aéroport de Montréal, c’était Mathéo qui se tenait au bas de l’escalator, en jean noir légèrement serré et veste en cuir cintrée ? (cuir marron, la veste. Et une chemise grise colle mao, avec des rayures plus claires. Je sais, faut que je me calme.)
Et puis, après Guillaume, ça a été Maman. J’aurais pu écrire cette conversation téléphonique bien avant de la tenir :
Elle : « Quoi ? Mais enfin, Elina, tu es enfin diplômée ! Tu crois vraiment que c’est le moment de partir je ne sais où ? Comment tu payeras ton déménagement ? Tu comptes toujours revenir sur Caen au moins ? Tu avais promis que tu reviendrais ! Tu crois que le loyer, et les frais d’agence se payeront tous seuls? »
Moi : « J… »
Elle : « Et Guillaume ? Pour une fois que tu dégotes un garçon qui veut bien de toi ! Il est parfait, ce garçon ! Pourquoi tu vas là-bas ? Tu ne cherches tout de même à le revoir, lui ? Oh mon dieu ! Dis-moi que ce n’est pas pour ça… »
(Pourquoi faut-il toujours qu’elle ait un radar pour ce genre de trucs ?)
Moi : « Non, c’est… »
Elle : « Tu es complètement folle ma pauvre fille ! Tu fais comme tu veux, mais moi je ne te suis pas ! Pas du tout ! »
Encore elle : « Redescend sur terre un peu ! »
Toujours elle : « Tu as 25 ans, tout de même ! »
Et pour finir, moi : « Salut, maman. On en reparlera quand je rentrerai. »
Pas besoin de retranscrire la conversation avec Fanny. Elle était complètement surexcitée. Après tout, c’est la seule à nous avoir connus ensemble.
Et moi alors ? J’ai réservé l’avion sur un coup de tête (et après plusieurs vodka-coca)…
Alors que tout ce que je sais de lui, c’est ça, et ça remonte à sa dernière lettre, le 12 juin 2006 :


Quand il m’a dit qu’il voulait qu’on se sépare, il a changé d’adresse e-mail et de numéro de téléphone. Et il a coupé court à toutes les relations qu’on avait en commun. Comme s’il voulait changer totalement d’identité…
Comme si j’avais tellement brisé son cœur qu’il voulait s’en créer un nouveau, tout neuf…
Je me déteste quand je repense à ça.
Quel droit j’ai d’aller le chercher là où il a voulu disparaître ?
….
J’espère que je n’ai pas fait la pire bêtise de ma vie en réservant ce vol.

* * *

dimanche 5 juin 2011

Partie 3
16 juin 2011

Non, je n'ai pas encore réservé. Je n'ai fait qu'ajouter Aircanada.com à mes favoris (et vérifier les horaires 10 fois dans la soirée). Une partie de ma pauvre raison s'accroche encore. C'est une petite musique sans grande intérêt mais rassurante comme un bon vieux tube de Nostalgie. J'en connais le refrain d'avance : reste avec Guillaume, trouve-toi un boulot de studio stable et moyennement bien payé, accepte d'être une adulte désabusée. Après tout, ça peut être follement excitant de photographier la nouvelle Nissan sous tous les angles comme le fait Guillaume (lui, ça l'excite vraiment).
D'un autre côté, il y a ça (mon dieu ça remonte... 2 mai 2002 !) :


Mots du lycée...Je les ai scannés. J'aurais l'impression de me séparer d'une partie de mon âme si je les jettais.
Mathéo Stévenin, où es-tu ? Est-ce que tu les as gardé, les lettres qu'on s'écrivait ? Et le ticket de cinéma pour Le voyage de Chihiro, tu l'as gardé ? Parce qu'on y est allés. Et je n'ai rien suivi du film (et pourtant, c'est un film magnifique).
J'ai résisté vraiment très fort, je le jure. Mais hier soir, tard dans la nuit, j'ai tapé ça :


Dire que ça ne m'était jamais passé par la tête jusqu'à cette dicussion avec Fanny sur le Canada. Un bon déni, ma bonne dame.
Et ben, j'ai bien fait. Cher amour de lycée, où que tu sois, tu n'es pas sur facebook. A moins que tu ne te caches derrière ce profil aussi vide qu'un supermarché la nuit ?


Et ton prénom, sans accent, vraiment ?
Un peu déçue, c'est vrai, mais quelque part ça me rassure. Tu n'as pas changé. Toujours résistant aux nouvelles technologies :)
Quand je pense que tu refusais de t'acheter un portable en terminale...
Il faut que j'arrête de le tutoyer dans ce journal, c'est limite flippant :)
allez, vaut mieux que j'aille me coucher. Demain je parle avec Guillaume et je lui dis que je pars au Canada pour un temps indéterminé, sans préciser les détails. Et qu'il veuille me quitter ou non... ça m'est égal.
à +...

* * *



vendredi 3 juin 2011

Partie 2

Partie 2



15 juin 2011


Alors alors….
Choix vital à faire : y aller, ou ne pas y aller.
Je déteste le mojito, c’est tout petit et les gens hurlent pour s’entendre ; en plus ils passent de la musique cubaine, du coup les mecs croient tous pouvoir se dandiner langoureusement comme aux Antilles, sauf que ça passe moins à Paris, 13ème arrondissement.
Et puis, Guillaume sera là. Et comme je n’ai pas encore pris de décision honnête envers moi-même concernant cette idée hallucinée de prendre l’avion direction Canada, je ne vois pas comment je pourrais la prendre pour lui. Il attend ma réponse, je le sais… Le pauvre. Est-ce que je peux vraiment laisser reposer la fin de cette histoire sur un désir plus ou moins hystérique de remonter le temps de cinq ans à cette après-midi d’automne où j’ai quitté mon premier amour dans le hall de Charles de Gaulle ?
A phrase interminable réflexion interminable.
La vérité, c’est que j’aime bien Guillaume. C’est le petit copain « pratique », même promo, mêmes amis. Même routine… Soyons un peu sincère deux minutes, il me gonfle, et je le quitterai quoi qu’il arrive, que ce soit demain pour prendre l’avion, ou dans deux semaines même si je reste en France.
Ouf, ça fait du bien de prendre de saines décisions. Des décisions d’adulte. Et qu’est-ce que c’est, comme décision, de tout plaquer pour partir prendre des photos sur un autre continent (et par la même occasion traquer son amour de lycée dans les rues de Montréal) ? Sage décision d’adulte qui a économisé toute sa vie pour faire ce voyage et mérite bien un petit break, ou délire post-adolescent de midinette pas tout à fait revenue de ses histoires Disney préférées ?
Discussion avec Mathilde en ce moment :


Et là, je devrais répondre quoi ?....
Que ce soir je vais prendre une décision d’adulte et rompre avec Guillaume ?
Comme ça j’aurai le champ libre pour prendre une autre décision, beaucoup moins raisonnable ?



Voilà. Mon clavier a tranché plus vite que mon cerveau : je ne romps pas avec Guillaume.
Mais je vais quand même jeter un œil sur http://www.aircanada.com/
Parce que je suis née compliquée et je le resterai.
Vais me mettre en pyjama et comater devant un épisode de Grey’s anatomy.
Pauvre moi.

***

jeudi 2 juin 2011

Partie 1


12 juin 2011

Voilà, je viens de poster ma joie immémoriale sur la grande toile de facebook. 
Au moins je suis sûre qu'il en restera une trace... Parce que tout juste sortie du secrétariat avec mon petit papier (bien léger pour résumer plus de six ans de galère...) je sens déjà l'angoisse prendre le pas sur la satisfaction.
Voilà, je suis diplômée. J'ai 25 ans, et plus rien ne me retiens de vivre ma vie d'adulte. Rien... Sauf ce rêve stupide que j'ai depuis que je sais appuyer sur le bouton d'un numérique de partir quelque part loin de tout, prendre des photos d'arbres, des photos de nuages, des photos de routes... Et surtout, surtout, des visages, des tonnes de photos de visages. Et après ? Qu'est-ce qui m'empêche de travailler pour un salon de mode, ou pour des agences de publicité, ici, en Normandie, sans dépasser d'un pas la limite bien connue de mon petit univers ordinaire ?
Et franchement... Pour être tout à fait honnête, si je devais partir quelque part, ce ne serait pas n'importe où. Je peux mentir à qui je veux, mais pas dans ce journal, pas à moi-même. Si je devais partir demain, ce serait pour le revoir, lui, et pour prendre son visage en photo. Ses traits on dû changer... Comme un bon vin, il doit être plus mûr aujourd'hui ; où est-ce qu'il a toujours ces fossettes de gamin au creux des joues ?
Ma pauvre Elina, il est temps que tu te réveilles. Mais franchement, Fanny n'aide pas.
J'ai eu une discussion sur msn avec elle hier soir, d'ailleurs. Voilà un petit extrait :

 












Fanny a toujours été la voix de la folie :) Mais là... Est-ce que j'aurais tort de l'écouter, rien qu'une fois ? Je SAIS que ça fait grosse désespérée qui s'accroche à des souvenirs... Et que lui a dû passer à autre chose. C'est ça le pire : qu'est-ce que je fais si je me pointe et qu'il me balance le râteau du siècle ? Qu'est-ce que je cherche ?
Après cinq ans, il faut vraiment avoir un grain pour continuer de se faire des films sur son premier amour.
Je crois que je vais simplement me faire un thé et attendre les "j'aime" sur facebook. Me REJOUIR de cette nouvelle étape de vie. Car OUI, je suis HEUREUSE. Ou pas.
Pfff.... C'est desespérant. Allez, j'y go cher journal. A plus...         
15h32
* * *