lundi 17 octobre 2011

Partie 13

8 Juillet, vers 15h

J'ai finalement dormi (un peu) après avoir guetté pendant une bonne partie de la nuit la respiration de Stephen dans le duvet d'à côté. Je pouvais voir dépasser le bout de son nez, quelques poils de sa barbe et ses boucles brunes sur son front. Je l'ai regardé et la pensée de Mathéo m'a transpercée jusqu'au coeur, je me suis sentie clouée au sol. C'était si fulgurant qu'un sanglot m'a échappé, j'ai retenu le second pour ne pas réveiller Stephen, mais c'était aussi dur que de s'empêcher de vomir. J'ai serré les dents et j'ai fermé les yeux.
C'est fou comme pleurer fait remonter des sensations, toutes les fois où on a pleuré semblent s'être inscrites dans notre corps, cette sensation de sel dans le nez, de chaleur des larmes sur les joues ; toute la poitrine s'enflamme, les larmes ruissellent, pendant quelques instants on laisse venir, on accepte d'être secoué entièrement par sa tristesse, puis la raison reprend le dessus et on s'essuie les joues en reniflant, "allez, c'est bon, arrête de pleurer, c'est stupide". C'est tellement dur et tellement bon après, de se laisser flotter dans l'espace, les yeux brûlant mais secs, le nez un peu bouché ; les choses sont sorties, elles sont à distance, au moins pour quelques heures.
Je crois que c'était de la douleur de ne pas l'avoir près de moi, mais aussi un peu de honte. Je me suis précipitée sans réfléchir dès que j'ai su où il était, et maintenant où est-ce que ça me mène ? Au milieu d'un pays de landes et de neige, parcouru par le vent de la toundra, dans la tente d'un inconnu. J'ai pleuré parce que ma maison me semble si loin et si difficile à rejoindre que je ne sais plus si je ferais mieux de faire demi-tour ou de continuer. Guillaume et sa vie plan-plan m'ont presque paru attirantes sur le coup.
Puis j'ai fermé les yeux et j'ai dormi jusqu'au matin.
Stephen était réveillé quand je suis sortie de la tente, frigorifiée. Il m'a dit qu'on allait rejoindre le village le plus proche avant de repartir. Je n'ai pas demandé pourquoi et on est partis.


J'ai eu l'impression de débarquer dans une station balnéaire de Normandie et voyant apparaître les petites bicoques en bois des "Leaf River outffiters". Dans la boutique d'équipements, Stephen a sorti une poignée de dollars avant que je puisse réagir, pour m'acheter une parka doublée de laine. J'ai protesté, mais il n'a pas voulu me regarder dans les yeux, s'est contenté de me tendre le sac en soufflant "Just take it". J'avais bien envie de lui balancer une mauvaise réplique pour lui remettre les idées en place, et puis j'ai réalisé que ça ferait franchement ingrate de première. Il fait un peu ça comme un goujat, mais j'imagine qu'il n'a peut-être pas le choix. Pour un homme aussi peu porté sur la parole, il n'y sûrement pas de longs discours dans un cas comme ça. Il m'achète de quoi survivre, point barre.


Les gens là-bas étaient tous étrangement blancs, plus de Cree comme à Chisasibi, et pas mal de touristes un peu vulgaires : "oh regarde chéri comme cette fourrure de caribou est douce, ça ferait bien devant la baignoire, non ?" Je me suis dit que je n'étais pas forcément mieux, que j'avais été finalement bien pleureuse ces derniers jours, et qu'il allait falloir changer ça.
On a rechargé les vivres et on est repartis. Simplement se concentrer sur l'eau, sur le mouvement de l'épaule pour enfoncer la pagaie dans l'eau, c'est le truc le plus relaxant que j'aie connu. Peu à peu, la sensation au creux du ventre s'est calmée, j'ai fixé la nuque de Stephen jusqu'à que rien ne reste dans ma tête que le glissement de l'eau de chaque côté du canoë.
Peu après le déjeuner - un sandwich dans un coin sauvage - on a repris la "route" et on a croisé... un caribou. C'est bête mais j'ai trouvé ça assez fou. Stephen l'a aperçu le premier et m'a doucement tapé sur l'épaule avant de me le montrer du doigt. J'ai retenu une exclamation et je l'ai regardé. Il était simplement occupé à boire, son pelage brun clair se chauffant au soleil, les pattes légèrement pliées. On a ralenti le rythme des pagaies pour s'approcher lentement, mais il nous a quand même entendus. J'ai réussi à prendre une photo avant qu'il ne tourne les sabots, stoïque, et ne disparaisse au coin d'un sapin.

Une demi heure plus tars environ, Stephen a ralenti la pagaie pour me montrer une carte. C'est là qu'il m'a demandé, l'air de rien "bon, tu veux aller où exactement ?" J'ai dû avoir l'air vraiment bête, heureusement, il ne m'a pas regardée plus d'une seconde. "En fait... Je cherche quelqu'un. Un... ami. Il fait une recherche sur une population Inuit mais je sais pas laquelle..."
Il a fait "hmm." Puis il a relancé le canoë, mais au ralenti. Je me suis demandé s'il n'allait pas se retourner pour me demander des détails, et mon coeur a battu la chamade jusqu'à ce qu'il se remette à pagayer normalement. Pour me remettre de mes émotions, j'ai pris quelques photos du ciel, en voilà une :


Et, histoire de me situer (façon de parler, j'y comprends rien) voilà à peu près où on en est :


Le temps étant toujours avec nous, et Stephen ayant repris son rythme de croisière, on a bien avancé, en silence.
A l'heure où j'écris, Stephen pagaye un peu tout seul pour ma laisser me reposer et remplir mon journal. Le vent est derrière nous et la rivière s'agite comme si une main invisible s'amusait à créer des vagues. Nous avançons à une vitesse assez incroyable et Stephen m'a dit qu'on atteindrait un premier village inuit demain matin.
Stephen vient de me dire de m'accrocher, nous allons passer une zone assez mouvementée. Pour qu'il me dise ça, c'est que ça doit être bien coton. Je vais essayer de continuer quand même, parce que nous avons vu une bonne dizaine d'autres caribous il a quelques minutes. Stephen dit que les migrations sont impressionnantes et qu'on en croisera beaucoup d'autres.
Wahou c'est dingue, l'eau entre dans le canoë tellement ça bouge. Franchement, je rigole pas, ça bouge de partout, je vais essayer de m'accrocher... De gros rochers sont apparus soudainement et l'eau nous pousse de partout comme un fétu de paille. Stephen est impressionnant, à lui tout seul il évite les plus gros. Bon, ça devient délicat, là, je vois se profiler une bonne descente à l'horizon. C'est un peu kamikaze, mais allez, je prends une dernière photo.

Bon maintenant, sans rigoler, je me demande si je ferais pas mieux de ranger le journal vite fait avant que le canoë ne se ren

5 commentaires:

  1. j'espere que ce n'est pas bientot fini avec Stephen... il restera dans l'histoire hein ? :'/

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  2. Il va disparaître.... à mon avis. Commence à être trop taciturne pour moi :p

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  3. je pense comme Anonyme; le cœur a parfois des revirements inattendus............

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  4. Ben pour le coup, maman,ce serait attendu... on voit venir gros comme une maison qu'elle va craquer pour lui, ce serait selon moi trop téléphoné de la part d'Agathe :)

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