lundi 26 septembre 2011

Partie 10

6 Juillet

Situation très cocasse au beau milieu de mon désespoir : Stephen et moi avons dormi ( Dans une tente donc, MAIS pas la même. Oui je me répète. C'est peut-être que l'idée m'a traversé l'esprit... Je passe là-dessus. J'ai assez à faire avec Mathéo et Guillaume, les autres hommes n'existent pas), juste devant l'unique hôtel de Chisasibi (qui ressemble à ça :)
LE touriste de l'hôtel (on peut l'apercevoir en rouge dans sa petite parka) a bien rigolé en nous voyant émerger avec le soleil, vers 6h du mat.  Mon sauveur américain m'a fait un "bon" café sulfurisé sur son réchaud portatif. Vue la tronche des grands-mères du coin, on peut comprendre la qualité du café (coffee Grand-mââr' nord-québécoiiiss', lo coffee extraordinââr des ptzits dèj t'jours réussis, tabernac' d'calisse !)
Gentille grand-mère et son fils croisés devant l'hôtel



Stephen m'a expliqué qu'on allait prendre la voiture sur une petite distance puis l'avion jusqu'à l'embouchure de la rivière, mais qu'après on n'aurait plus d'autre choix que de changer de moyen de transport. Je n'ai pas demandé de détails (voiture, bateau, chiens de traineau, caribous domestiques ?). C'était un peu pour lui rendre la monnaie de sa pièce : qu'une petite française sortie de nulle part lui demande en pleurant de tout plaquer pour lui montrer le chemin, et ne même pas demander ce qu'elle cherche aussi désespérément...  Il faut avoir une certaine dose de sang-froid.
Je ne doute pas qu'il en ait une sacrée dose.
Quand on a croisé deux ados (et encore je pèse mes mots, ils étaient si petits) portant des bois de caribous plus grands qu'eux, il n'a même pas sourcillé. Il doit être habitué à croiser tout et n'importe quoi dans le coin.
J'ai beau m’exclamer comme une grosse niaise, il ne souffle pas un mot. Ou alors, il jure entre ses dents en anglais quand un caillou se coince dans les semelles de ses bottes, et c'est tout.
 Étrangement, ça me rappelle Mathéo. Il pouvait être passablement silencieux, parfois. Mais la différence, c'est que selon ses humeurs, il partait dans des tirades enflammées un brin anarchistes ; et il savait aussi s'émerveiller des petites choses. A une époque, un rayon de lumière dans mes cheveux suffisait à l'occuper pendant des heures.
Bref. Quittons ces vieux bouts de mémoire ou je risque de fondre encore comme le magnum de Piââr'. Stephen m'a guidée en silence et le regard impassible jusqu'à la sortie de la ville où un 4x4 nous attendait. Je ne sais pas si c'est l'unique coup de fil qu'il a passé tôt ce matin, mais tout était organisé.
Nous avons roulé pendant plus de deux heures sur une route complètement défoncée, et croisé d'autres gamins à peine plus âgés chargés de bois et de peaux. J'étais d'une humeur massacrante. Stephen ne m'a rien fait, et je lui ai déjà montré le plus beau de mon caractère, mais là j'avais juste envie de l'égorger lui et le conducteur,  puis de pleurer roulée en boule sous le siège arrière. Je me suis focalisée sur une carte de Chisasibi que j'ai trouvé dans la boîte à gants. Je repenserai longtemps avec nostalgie à ce bout de Québec coincé entre le far-west américain et la toundra. En espérant que je n'y revienne jamais.
Nous sommes arrivés à Radisson, petite bourgade à une centaine de kilomètres de Chisasibi, un peu après dix heures. Stephen s'est arrêté quelques minutes dans un petit supermarché et j'en ai profité pour me dégourdir les jambes et prendre des photos. Mon âme d'artiste en a pris un coup : Radisson est très moche ; l'image de la dépression. Le conducteur m'a expliqué qu'elle n'existait que pour la centrale hydro-électrique, et que les trois quarts des habitants y travaillaient (les autres sont soit trop jeunes soit trop vieux).
J'ai eu un choc en apprenant que cette ville sinistre était la communauté francophone la plus nordique du Québec, de toute l'Amérique et... du monde. En gros, passée cette ligne, je serai condamnée à déchiffrer les baragouinages Cree de ces gentils Inuits tueurs de caribous.


Stephen est revenu sans rien dire, et nous avons roulé encore une demi-heure avant d'atteindre l'aéroport de Grande Rivière.
Une fois encore, tout était prêt. Nous avons grimpé dans un avion modèle réduit, comme celui d'un enfant. Je suis fière de dire que mes craintes concernant le vol sont totalement reléguées au passé. De toute façon, je n'ai même plus le courage d'avoir peur. 

 De haut, le Nord du Québec n'est qu'une vaste lande où s'entrelacent les rivières, parfois jaune sable, parfois vert vif. Des montagnes surgissent de temps en temps, déchirant la terre sur quelques kilomètres. Très en dessous de nous, le désert de Chisasibi laisse peu à peu place aux sapins et aux lacs bordés de mousse.
Alors que j'écris ces lignes, le front contre le hublot, je me sens exactement comme notre avion : petite, au-dessus du vide, abandonnée aux vents.
Mathéo, où que tu sois... J'aurais tellement besoin de toi, là, maintenant. Que tu me prennes dans tes bras et me fasses oublier à force de me tenir que je n'ai plus aucune attache et que mon cœur n'a plus d'habitant....
Je m'arrête là où je vais faire couler l'encre.
En mémoire de Chisasibi, Nord-Québec, ville fantôme où les âmes sont rares et desséchées par la rudesse du temps, où les Hommes ont le sourire franc et l'air sombre.

 
Chisasibi, 2002


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1 commentaire:

  1. Génial on se rapproche !
    En plus on découvre de nouveaux endrois, j'adoore :)

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