lundi 23 janvier 2012

Partie 17

21 Juillet


Ce qui ne devait être que deux trois jours est en train de se transformer tranquillement en semaine. Il a fallu que je m'acquitte de mes devoirs d'être humain civilisé, et j'ai envoyé un texto à Fanny, Maman et Guillaume, pour leur annoncer que je prolongeais mon voyage pour un temps indéterminé. Depuis, mon portable est tombé en rade de batterie, et je n'ai pas daigné le recharger.
La vie ici a suivi son cours, j'ai fini par prendre le rythme. C'est d'un calme fabuleux, vivre au fil de l'eau, des tâches ménagères, n'être occupé qu'à des choses essentielles ou à rire. ça ne me manque absolument pas de ne pas répondre au téléphone, ne pas stresser pour ma boite mail ou mes "notifs" facebook, les derniers sous sur mon compte ou les remboursements de la sécurité sociale.
Par contre, si je ne trouve pas bientôt Mathéo, il va bien falloir que je rentre, ou je n'aurais plus assez d'argent pour me payer le retour. Sans le canoë de Stephen, il n'y a pas d'autre possibilité que de prendre un petit avion, et le vol coûte assez cher.
Bientôt je me m’assiérai au bord de Kuugaluk pour attendre l'arrivée de Phill. Il pourra me conduire au prochain village, et ensuite ? M'imaginer faire le chemin arrière c'est comme une déchirure, pire qu'un regret, un refus catégorique, le souvenir qui me hantera toutes mes nuits jusqu'à ce que je perde mes dents et meure. Je ne peux pas. Il faut que j'aille au bout de ce truc stupide, c'est sûrement la seule fois de ma vie où je ferai une chose aussi totale, alors autant le faire vraiment.
Le temps de me relire et on vient de m'annoncer que Phill vient d'arriver. Je vais dire au revoir et reprends plus tard.

Je n'ai pas pu ne pas pleurer, c'était trop dur. Ces êtres superbes à l'autre bout de la terre, ils m'ont, sans le savoir , mieux soutenue en quelques jours que ma mère en 25 ans. Je prends des photos comme on embrasse une dernière fois quelqu'un qu'on aime avant de monter dans un train, alors que je sais qu'aucune pellicule ne pourra recréer autour de moi l'humidité lourde d'embruns de la rivière le soir, les rires des enfants nus dans l'eau, la chaleur du soleil qui se couche sur les hauteurs des landes... C'est une illusion qui m'est vitale, alors j'appuie sur le bouton et laisse la technologie me rassurer.






Avant de partir j'ai demandé à Kaskae de m'accompagner faire une dernière fois la promenade sur les hauteurs, au coucher du soleil. On a peu parlé, juste laissé le vent se fraîchir sur nos joues, la lumière dorée nous éblouir, nous laisser sans souffle et parfaitement heureux.
Ma tête était à la fois trop remplie et trop vide. Parfois Stephen y apparaissait, air bourru sous ses boucles brunes, parka rouge au bord des flots ; parfois c'était l'image trop parfaite du Mathéo de la terminale. Parfois un oiseau piaillait au loin, tenant peut-être un poisson fraîchement pêché entre ses serres et tout en moi se tournait vers lui et vers sa liberté.
J'aurais voulu être lui. Me hisser au bord de la falaise et m'élancer vers le lointain, où mon me semblera, tant qu'il y aura de l'air pour me soutenir, de l'eau pour m'abreuver, un peu de pluie pour laver mes plumes.







Phill est un homme adorable, avec son fiston qu'il laisse parfois monter sur ses genoux pour tenir la barre. Il ne parle pas autre chose que le Cree, alors on s'est compris par gestes et il m'a un peu appris à diriger le bateau.


On a voyagé un bon moment , assez longtemps pour que le petit Taima cesse d'être timide et s'amuse à jouer avec moi à cache-cache un peu partout. Pendant un moment, ça a calmé l'angoisse en moi, celle de partir à nouveau vers un inconnu.
On est arrivé au village voisin un peu avant la nuit. Je ne ferai pas de suspens inutile : Mathéo n'était pas là. Ici, aussi, beaucoup de gens le connaissent, mais il semble être passé en coup de vent. Tu était donc pressé, mon ancien amour ? D'aller où, de courir où, de découvrir quoi ?
Demain, je me renseignerai plus précisément sur ces Inuits qu'on dit encore "sauvages". Peut-être que je devrai pousser plus au nord que je croyais...
En attendant, je laisse la nuit m'envelopper, bercée par la respiration endormie d'enfants que je ne connais pas, pas pour très longtemps sûrement... L'air est doux et sent déjà un peu la neige.
Taima faisant son timide avant de monter sur le bateau
* * *



2 commentaires:

  1. j'ai bien aimé, surtout le "jusqu'à ce que je perde mes dents" ^^
    Vivement la suite ;)

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  2. Oh putain mais j'avais pas vuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu !!!!!!

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