dimanche 25 décembre 2011

Partie 16

12 Juillet


J'ai passé une très mauvaise nuit, réveillée à l'aube par les enfants trop impatients pour se taire. Ici, presque tout le monde parle couramment français, seuls certains ne baragouinent que quelques mots d'anglais. Avec enthousiasme, les petits Inuits m'ont entraînée au coeur du village où j'ai retrouvée ma bonne vieille chamane enrubannée dans sa combinaison aux couleurs improbables. Elle m'a d'autant plus fait l'effet d'une magicienne qu'elle se tenait seule face à une table recouverte de viande et la découpait à grands coups de machette. Avec ses petites mains tout ensanglantées et son air de schtroumpf, elle coupait, coupait, le visage renfrogné et sévère.


J'ai passé la matinée à suivre les enfants. Ils voulaient tout me montrer : leurs vélos, leurs chiens, comment ils plongeaient dans la rivière, taillaient des os en forme d'animaux, tentaient de pêcher comme leurs parents.
Je les ai trouvés, ces visages que j'attendais tant de pouvoir saisir sur la pellicule. Ces Inuits sont magnifiques, à la fois images d'une tradition ancestrale et mains tendues vers la modernité.








Tout le monde ici connait Mathéo. Il semble avoir marqué chacun des habitants à sa manière. Quand ils prononcent son nom, je sens l'air quitter mes poumons et me laisser sans souffle. Je sais que c'est son absence, et tous ces mois de fantasme, de nostalgie, de souvenirs revisités qui ont crée tout ça ; cette émotion qui me prend à la gorge et m'envahit comme une vague... Il est peut-être inventé de toutes pièces, mon petit tsunami, mais comment pourrais-je seulement faire autrement ?
Je n'ai pas demandé à naître pintade au coeur d'artichaut, c'est juste comme ça que je suis. Je me prendrai sans doute en pleine tronche la réalité bien cruelle, un jour ou l'autre, au détour de la rivière. En tout cas, pas aujourd'hui.
La viande (de phoque je le crains) avec ce miel chaud.... Hmm, c'était tout simplement grandiose. 
On m'a proposé de rester quelques jours, en attendant le retour de Phill, l'homme du village qui possède un petit bateau de tourisme. Il est parti depuis une semaine promener de riches américains d'un coin de Kuugaluuk à un autre, mais il ne devrait plus tarder.
J'ai pensé à Fanny, qui semi-comatise dans son petit appart parisien, à ma mère qu'on ne doit plus pouvoir tenir, à Guillaume qui veut tant que je lui "revienne vite", et à Mathéo, quelque part, occupé à ne pas m'attendre. J'ai dit oui.
On m'a installée confortablement dans un coin d'une des maisons. Ici, les gens se retrouvent le soir chez l'un ou chez l'autre, préparent la viande assis par terre puis échangent jusque tard dans la nuit. J'ai fait une rencontre que je n'oublierai pas, je crois. Kaskae, qui signifie "Chef". On peut le voir sur cette photo que j'ai prise cet après-midi.

Il se tient fier sur son bateau, mais si modeste à la fois. J'ai passé toute la soirée à parler avec lui de l'avenir de leur peuple. Il s'inquiète de l'avancée du mobilier et des gadgets modernes dans leurs terres, mais il sait qu'il y aura des avantages à se faire reconnaître administrativement par le Québec. Il m'a expliqué que des Inuits siègent depuis une trentaine d'années dans leurs propres institutions, et peuvent ainsi défendre leur culture. C'est un homme conscient des dangers du futur, qui déplore chaque départ des enfants du village vers les grandes villes canadiennes, et qui sait aussi qu'il faudra faire avec. 
En attendant le retour du bateau qui pourra me conduire vers ma prochaine destination, je profite des paysages somptueux et de l'air frais (tout juste dix degrés dans la journée). Kaskae m'a emmenée faire un tour sur les hauteurs pour mieux voir le village et la rivière. C'était d'une beauté à couper le souffle, et, pour une fois, ce n'était pas la faute de Mathéo. Je respire un grand coup et je me pose.


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2 commentaires:

  1. Une question, c'est vraiment "pimbêche" le mot que tu voulais utiliser ? ça veut dire prétentieuse, hautaine...

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